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Souvenirs de Michel Hardelay (2)
la nuit du 5 au 6 juin

POUR MEMOIRE, ces souvenirs ont été dispersés en plusieurs chapitres classés chronologiquement :

(d'après d'autres sources,  le bombardement de Maisy aurait eu lieu à 3h30 du matin? Peut-être 2 vagues successives??)

croquis établi sur la base des indications de Michel Hardelay (le bombardement par les 
quadrimoteurs "Liberators" a  eu lieu à 6h00 heureUS, il n'a pas été noté par MH, ce qui confirme le fait que leurs bombes sont tombées à l'intérieur des terres; ces 8 bombes à 4 heures  du matin ne sont pas planifiées, il s'agit peut-être  d'un avion qui largue par  erreur des bombes destinées à Maisy, ou alors la mémoire  de l'heure exacte est défaillante,  ce qui est aussi parfaitement
possible)


(détails)la maison où habitait Michel Hardelay le 6 juin, au fond d'une impasse orientée vers le Nord

  (nuit du 5 au 6 juin)
         "Afin de profiter de la douceur de la température, après les besognes habituelles, nous nous assîmes, ma mère et moi, dans le jardin.
         Vers 23 heures 30 (le 5 juin, mais 0h30 GMT+2, le 6 juin, heure US) j'entendis, entre le faible bruit provoqué par des explosions lointaines, le ronronnement caractéristique des moteurs des forteresses volantes propagé par la brise de mer.
         Puis peu avant minuit ce fut le grand vacarme du bombardement de Maisy, à côté  de Grandcamp, mais de Vierville nous ne pouvions localiser l'endroit exact.
Les  Allemands avaient allumé leurs projecteurs et c'était la première fois que je les voyais. (Il y avait des projecteurs de DCA à la Percée et à St-Laurent)
        Dans les faisceaux on pouvait apercevoir, descendant lentement, de petits points blancs comparables à des flocons de neige, si on faisait abstraction de la distance. En réalité c'étaient des tracts enjoignant à la population côtière de s'éloigner immédiatement du littoral, des opérations militaires étant imminentes. Ces tracts nous étaient en partie destinés, parait-il !!
         Enfin peu à peu les bruits diminuèrent dans le ciel comme sur terre et nous montâmes dans nos chambres. Je jetai en passant dans le couloir un regard vers la mer à travers la baie de la façade Nord; la mer était un peu plus claire que l'environnement, la crête de la falaise se détachait nettement et, debout et immobile, la sentinelle du poste installé récemment par un détachement de la division arrivée du front de l'Est se découpait sur l'horizon.
         On entendait toujours un bourdonnement lointain (probablement le bruit des moteurs de bateaux de la Force O qui commençaient à arriver dans leur zone de mouillage à 10 Milles au large de Vierville) et des explosions assourdies.
         Quelque peu rassuré je m'allongeai sur mon lit sans me déshabiller complètement, et m'endormis.
         Je fus réveillé vers trois heures (soit 4h00 GMT+2, heure US)  par le bruit d'un moteur d'avion allant s'amplifiant rapidement. La temps de bondir à la fenêtre en même temps qu'un sifflement se faisait entendre et je vis la lueur de deux bombes explosant en crête de falaise sur un labour appartenant à ma mère, à 35 m. à droite de la sentinelle qui avait légèrement courbé le dos et à 200m. de notre maison. Six autres bombes étaient tombées en flanc de falaise sans faire ni victimes ni dégâts, si ce n'est d'avoir transformé le petit potager de la villa "Les Fusains" en un immense entonnoir de sable.
         Pressentant des suites à ces événements je m'habillai complètement, prévins ma mère et la bonne réveillées par les explosions d'en faire autant pour être prêtes à toute éventualité, et j'allai tous les quarts d'heure à mon poste d'observation.


 
 
 
 


(détails)Les 2 tourelles du château avant  la guerre

Ci-dessous ces 2 tourelles en hiver 1944/45, la tourelle du Moyen-Age n'a pas été reconstruite


 

Mais rien n'arriva d'anormal jusqu'au lever du soleil (le ciel était couvert en grande  partie, le soleil ne devait guèreêtre visible ce jour là, sinon exceptionnellement,  de plus il ne s'est levé que  vers 6h GMT+2, après le début des bombardements) émergeant d'une bande de brume stagnant sur l'horizon, si ce n'est la bourdonnement sourd (ce bourdonnement sourd était évidemment le bruit des machines des bateaux, qui se transmet par l'eau beaucoup plus que par l'air et s'entend  ainsi à de nombreux milles nautiques de distance)qui s'amplifiait de plus en plus.
Et soudain le rideau de brume se déchira d'un seul coup et dévoila des milliers de bateaux: spectacle superbe et grandiose.
Je criai à ma mère: "regarde la mer!" et passant à la fenêtre de maison et apercevant mon voisin sortant de chez lui, je lui criai : " C'est le débarquement, allez voir la mer et admirez".
Il passa dans son potager, derrière sa maison, accompagné de sa femme, le ménage à côté de chez lui et les parents d'Huguette en firent autant, ils avancèrent jusqu'aux barbelés limitant le terrain soi-disant miné et contemplèrent le spectacle.
Nous étions donc tous les neuf sidérés et extasiés par le tableau qui s'offrait à notre vue quand arriva la charrette tirée par un rapide trotteur normand et conduite, nous sembla-t-il, par un sous-officier allemand, tête nue, tunique  ouverte et chemise bouffant au-dessus de sa culotte.
(cet épisode comique a été raconté directement par MH à Cornelius RYAN qui l'a interprété dans son livre; et par la suite le cinéaste Darryl ZANUCK  s'est inspiré de RYAN; il en est résulté des récits plus ou moins romancés, MH raconte ici comment il l'a vécu exactement et son récit est vraisemblable)    La vérité, la voici:
Chaque Q.G. des armées avaient des renseignements différents à l'aube du 6 juin. On commençait à tenir pour certains les parachutages dans le Cotentin et à l'Est de l'Orne, mais entre ces deux régions que se passait-il? Pluskat (la présence effective du Major Pluskat dans son observatoire d'artillerie de Sainte Honorine  -d'après RYAN- a été vivement contestée par des Allemands de son unité; quoi qu'il en soit, il y avait sûrement un  responsable dans l'observatoire capable de téléphoner  ce qu'il voyait)  venait de prévenir son chef de corps à l'instant qu'une flotte innombrable fonçait sur lui, mais chaque commandant de corps exigeait de leurs chefs d'unité placés sur la côte confirmation et renseignements complémentaires.
C'est ainsi qu'un sous-officier de la compagnie stationnée dans le secteur et appartenant à la 352ème division avait reçu  I'ordre de se rendre sur la falaise de Vierville et de rendre compte de ce qu'il voyait. Cet ordre était parvenu au capitaine (commandant la 11ème compagnie, au manoir de Than) suivant l'ordre hiérarchique depuis le général de division.
Ce militaire habitué à se faire réveiller ou à réveiller ses hommes par la blague classique "Debout, les Tommies arrivent" s'assura que l'ordre émanait bien de son capitaine, s'habilla rapidement, emprunta la charrette du porteur de café et se dirigea vers Vierville, au petit trot. Il passa devant l'épicerie, la rue du Hamel au Prêtre sur 50 m. et tourna à gauche dans le pré où se trouvait la brèche dans le réseau de barbelés. Ce champ montait légèrement vers le chemin en surplomb menant au poste (le WN70) situé au-dessus de me villa et, comme il était bordé de hautes herbes, on ne pouvait voir la mer qu'en le franchissant.
Arrivé à cet endroit l'homme se leva, aperçut la flotte alliée, leva les bras au ciel, sauta de la charrette et piqua un sprint vers le poste tenu par ses hommes.
Le cheval, quant à lui, fit demi-tour et regagna son écurie au grand trot.Sentant que les tirs allaient se déclencher vu la proximité des bateaux, tout le monde regagna sa demeure, ma mère prit ses bijoux et son argent et se dirigea vers l'abri; je la rejoignit avec une chaise et avant de descendre les six marches je déposait en travers de la tranchée une dizaine de fagots qui se trouvaient à  proximité.
A peine arrivé dans l'abri les tirs se déclenchèrent.
Il était un peu plus de 5h30, heure anglaise. 
(les tirs navals ont commencé à exactement 5h50, GMT+2, heure des Américains, et donc 10min avant le lever du soleil)

(Il est difficile de savoir sûrement ce que ces tirs, dirigés essentiellement sur les défenses côtières, ont pu atteindre dans le village lui-même. A peu près certainement c'est à ce moment, 06h00 du matin, que les bâtiments suivants ont été atteints, par des obus de calibre moyen (Vierville a été visé à ce moment par des destroyers et par l'artillerie moyenne du cuirassé "Texas", soit du calibre 127mm):
                 - Le mur postérieur de la maison du maire dans le village
                 - Le pignon de la maison Jean, sur la rue Pavée
                 - la boulangerie de la rue Pavée, (2 morts, Jacques LEROUX, 10 mois, fils de la boulangère, et Pauline BERNASCONI, 20 ans, employée de la boulangère)
                 - La vieille tourelle isolée dans le parc du château
                 - Une lucarne du 2ème étage en façade du château
                 - Le toit de la tourelle d'angle du château, traversé par un obus
             Par contre il est probable que tous les bâtiments voisins de l'église ont été touchés lors du bombardement du clocher vers 14h15 le 6 juin, notamment l'église proprement dite, le presbytère, la maison Collières, la petite maison en face de l'entrée postérieure du manoir de Than. Quant aux dégâts sur le carrefour, poste, école, hôtel Pignolet, gare routière, etc.., ils datent du 7 juin à 20h00, los du bombardement par les Allemands du carrefour.)
 

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