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Souvenirs de Michel Hardelay (6)
L'après midi du 7 juin, l'évacuation et le bombardement du carrefour

POUR MEMOIRE, ces souvenirs ont été dispersés en plusieurs chapitres classés chronologiquement :

 




(détails) Le carrefour


(détails) Le carrefour avant guerre, à droite la poste et l'école, au fond les hôtels Pignolet et de la Plage.

(détails)


le maire de Vierville, Mr. Leterrier, en discussion animée avec un G.I. qui essaye de le comprendre. Derrière lui, 2 soldats armés d'une Thomson Gun (mitraillettes US de 11,43mm) et d'une carabine M1

(détails) Une autre photo du Maire avec un GI et une dame non identifiée


(détails) La gare routière (à l'époque où c'était encore une gare de train)


(détails)L'hotel Pignolet ("La Pie qui Tette") et la gare


(détails) Au Ruquet, certains habitants furent emmenés le 7 juin pour être
éventuellement évacués vers l'Angleterre

(le 7 juin après-midi)

Nous déjeunâmes assez rapidement car les tirs semblaient redoubler dans les environs et regagnâmes notre abri.

Vers 14 heures et demie un officier vint nous prévenir de nous tenir prêts à évacuer le village et nous donna ordre de nous rendre à un premier regroupement, à 15 heures dans la cour de notre voisin le maçon. Nous remplîmes deux mallettes de nos biens les plus précieux, les placèrent dans une brouette à laquelle étaient attachés nos deux épagneuls - nous abandonnâmes la plus vieille, aveugle et sourde, légèrement blessée par un éclat - et nous rendîmes dans la cour du maçon.

Il y avait, sur un pilier de l'entrée, un drapeau avec croix rouge, signalant cet endroit aux médecins et infirmiers de passage. Un tombereau était posé sur ses brancards sous un auvent; il avait été garni de paille sur laquelle était couché un soldat grièvement blessé et sous perfusion. Une voisine, légèrement blessée au bras, vêtue d'une blouse blanche, le surveillait et le signalait aux infirmiers de passage qui changeaient l'ampoule ou lui faisaient une piqûre. Un Allemand, Autrichien d'origine, était assis dans un coin et avait l'air très content de son sort, alors que deux G.I. s'escrimaient à briser la crosse d'un Mauser.

Nous étions une quinzaine d'habitants de l'extrémité Est de la commune à être rassemblés dans cette cour et les bruits les plus divers couraient certains prétendaient que les Américains avaient commencé à rembarquer et qu'ils nous emmenaient, d'autres qu'on allait nous emmener vers Saint-Laurent, commune mieux tenue par les alliés, d'autres enfin qu'on allait nous abandonner à notre sort.

Un officier vint nous prévenir que tous les habitants devaient se trouver à 5 heures dans la cour de l'école pour une vérification générale d'identité et que là nous saurions le sort qui nous était réservé.

Nous arrivâmes dans la cour de l'école à l'heure prescrite et au moment où une vive fusillade commençait : quelques G.I. étaient aux prises avec un détachement de cinq ou six Allemands qui, profitant des murs de clôture, étaient parvenus à une vingtaine de mètres de l'école. Un tout jeune Allemand leva les bras , sauta le muret et se rendit ; il fut aussitôt pris en charge par un soldat Américain qui le fouilla et lui ordonna de s'asseoir dans un coin. Les autres Allemands s'esquivèrent en profitant de la confusion provoquée et des jardins des maisons voisines.     

Cette contre-attaque Allemande, menée certes avec des moyens très réduits en hommes, était une preuve de la fragilité de l'implantation américaine dans le secteur de Vierville et des soucis des Américains, d'une part à cause de la perméabilité de leurs lignes de défense, d'autre part du fait qu'ils venaient de se rendre compte que les Allemands avaient préparé le terrain loin derrière la côte en aménageant des cheminements dans les fossés, sous les ronciers, et des positions leur permettant de passer d'un pré dans un autre par de petits tunnels dans les talus séparant deux champs importants et d'être ainsi à l'abri des observations aériennes.

C'était le commencement de "la guerre des haies".

Cette chaude alerte passée le capitaine Gardiner (?) du C.I.C. (le contre-espionnage) présent se tourna vers le maire et lui demanda s'il connaissait chacun des civils, une quarantaine se trouvaient alors dans la cour de l'école, comme habitant de sa commune. Le maire répondit affirmativement après avoir fait un rapide examen.
Le capitaine annonça alors qu'une évacuation du village avait été décidée par le haut commandement.

Deux faits modifièrent heureusement cette décision: La postière ayant demandé l'autorisation d'aller dans son bureau pour emporter la caisse dont elle était responsable et cette autorisation lui ayant été accordée, elle pénétra dans ses locaux par une porte donnant sur la cour, accompagnée par son mari et un soldat délégué par le capitaine pour la surveiller. Ce léger retard fut lourd de conséquences.

D'abord on entendit arriver un important convoi tant attendu : jeeps, blindés, half-tracks, et hommes, (notamment une batterie de 105mm du 110ème Bataillon d'artillerie de campagne) convoi qui provoqua une réaction allemande par guetteur interposé (probablement un guetteur allemand caché dans le clocher): un barrage d'obus incendiaires de 88mm s'abattit sur le carrefour, la poste et l'école. 

Un obus tomba dans une salle de classe et explosa avec un bruit sourd; je me mis à l'abri derrière mes deux valises tandis que ma mère qui s'était assise dans un W.C. en compagnie de sa vieille amie madame G. (Mme Guignard ?), étendait au dessus d'elles deux une couverture qui avait le mérite, non de la protéger des éclats, mais des morceaux d'ardoises qui se détachaient de l'auvent.

A cet instant le couple de postiers arriva dans la cour sans le soldat qui les avait suivi; celui-ci avait été tué dans le bureau. Le couple vint se placer devant moi, paraissant indifférent aux événements, l'homme donnait le bras à sa femme et je voyais qu'à chaque battement de son coeur un jet de sang s'échappait de sa carotide et l'inondait, sans qu'il semblât s'en apercevoir. (il s'agit du 3ème civil de Vierville mort à la suite des combats du débarquement, François ALIX, décédé de ses blessures à Saint-Laurent le 9 juin, probablement dans l'hôpital américain de Saint-Laurent)

La première personne qui sortit de cette cour-piège fut le prisonnier Allemand, suivi comme son ombre par le soldat qui en avait la garde; puis ce fut un ménage avec ses trois jeunes enfants, enfin ce fut la débandade générale tandis que j'entendais le capitaine se répéter à lui-même, en français," Ne jamais stationner à un carrefour".

En sortant nous vîmes en partie les effets du tir sur le convoi: les véhicules, bourrés de munitions, explosaient en mettant le feu autour d'eux et ajoutaient au massacre.

{ Lors du bombardement du carrefour un half-track en feu, en tentant de s'enfuir par la route de Grandcamp, mit le feu à la gare. Les occupants de la cave (la famille Coliboeuf) eurent tout juste le temps de sortir et de sauter en bas du mur de soutènement qui bordait le terrain, abandonnant le cochon et le chien. Curieusement lorsque l'on put accéder de nouveau à la cave ce dernier vivait encore et but un plein seau d'eau pour renaître à la vie. Mais le cochon était mort." }

Nous regagnâmes en longeant les murs notre abri et, plus tard un Américain vint nous dire que nous pouvions y rester pour la nuit."

 Suzanne Hardelay, née Coliboeuf, 12 ans, était dans la cave de la gare:
"Ma mère est sortie chercher de l'eau. En revenant, elle nous a dit : "Il y a un camion de munitions arrêté devant la maison et les Américains le tirent pour le mettre sur le coté". Là, cela s'est mis à canonner. Nous sommes redescendus dans la cave. Cela a duré un bon moment et le camion a explosé. La maison a bougé. Mon père s'est mis dans les marches de l'escalier et nous a dit que nous sortirions que lorsqu'il nous le dirait. Au bout d'un moment, il nous a dit que nous pouvions sortir."


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