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Souvenirs de la
famille De Loÿs
le 7 juin au château de Gruchy (2)
Les mouvements du 7 juin
(détails)
Le château de Gruchy, PC la compagnie 9/726, qui défendait
la Percée et Englesqueville

(détails)
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Extrait de "Le jour le plus Fou"
(par E.Coquart et P. Huet, chez Albin Michel)
(Le
7 juin) (Voir
la page souvenirs de la famille de Loÿs, le 6 juin à
Gruchy (2))
Début de soirée.
Guy tente une nouvelle sortie alimentaire.
Il court dans le parc labouré par les bombes et
les obus, mais en passant devant la grille d'entrée,
aperçoit la silhouette d'un soldat qui, immobile, stationne
au bord de la route
(on est très probablement le 7 juin, car les Américains
n'ont pas dépassé Vierville avant le 7, de plus
l'histoire est racontée, mais sous une forme un peu différente,
par le Capitaine
Miller du 175ème Régqui est passé à
Gruchy le 7 au soir).
Il (Guy) remarque aussitôt qu'il
ne porte pas de casque Allemand, pas de casque Anglais, avec
cette forme de cuvette renversée qu'il a vue dessinée
sur les affiches de propagande nazie. Une déduction fulgurante
traverse l'esprit du jeune garçon: c'est un Américain!
Guy s'arrête net, tente d'entrer en contact, crie
au hasard quelques mots de sympathie. Mais le soldat, d'un geste
du bras, lui fait signe de déguerpir. Guy redescend à
toute vitesse dans le souterrain. Excité à l'extrême.
Mais les mains vides.
«Tu n'as rien?
- Non, enfin si... J'ai une nouvelle: les Américains
sont là.»
Personne d'autre que Mme de Loÿs n'a entendu.
«Tu retournes là-haut, ordonne-t-elle à
son fils. Tu entres en contact avec eux, tu te renseignes. Enfin,
tu te débrouilles. Mais surtout, surtout, ne leur dis
rien de ce qui se passe ici. Pas avant que j'aie eu le temps
de tout préparer.»
Guy remonte à la surface. Croise cette fois une
patrouille entière de GI's qui explore le parc. Il les
sent nerveux, tendus, prêts à tirer à la
moindre alerte. Dans son anglais d'écolier, il parvient
à s'expliquer, à les assurer notamment que le
château est vide de tout occupant. Ils investissent la
demeure, raflent au passage quelques bibelots, ce qui fait mieux
comprendre à l'adolescent pourquoi sa mère a,
depuis longtemps, mis les objets de valeur en lieu sûr.
Inspection faite, les soldats se décontractent, s'installent
dans les pièces du château, se vautrent dans les
fauteuils. Se reposent...
Infatigable estafette, Guy retourne auprès de sa
mère le plus discrètement possible.
Mais de toute façon, personne ne fait attention
à lui. Pour combien de temps encore? Etre dans ce souterrain
avec cette vingtaine de soldats Allemands, c'est comme être
assis sur un baril de dynamite. A la première maladresse,
tout risque de sauter.
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Mme de Loÿs choisit de
révéler aux blessés la présence de
l'ennemi. Dans le château, juste au-dessus de leurs têtes
: "les affronter", leur dit-elle, "serait suicidaire,
reviendrait à se faire massacrer. C'est sans espoir. Et
puis, il faut penser aux civils, aux femmes, aux enfants."
Elle parlemente. Elle sent les fantassins de la Wehrmacht
au bout du rouleau, fatigués, usés.
«Si vous vous rendez, vous serez soignés. Vos
camarades les plus durement touchés seront certainement
évacués.»
Les soldats discutent entre eux. Ils sont apparemment peu
désireux de se battre, mais pas convaincus non plus de
rester en vie s'ils se rendent. La propagande a fait son oeuvre.
L'un des Allemands se détache du groupe et donne une dernière
et - étonnante - condition : «Nous sommes d'accord,
mais un soldat allemand ne peut se rendre à l'ennemi les
armes à la main.»
Mme de Loÿs ne prend pas la peine d'épiloguer
sur les signes extérieurs et dérisoires de l'honneur
: «Qu'à cela ne tienne, s'exclame-t-elle, ça
peut s'arranger. L'autre sortie du souterrain donne dans les bois.
Tout près, à côté du lavoir, il y a
un puits vous n'avez qu'à y jeter vos armes.»
Les soldats demandent un nouveau temps de réflexion
et, après un autre conciliabule, acceptent enfin de se
rendre sans combattre. Sous la conduite de la châtelaine,
ils sortent du souterrain en file indienne, se faufilent dans
les fourrés, balancent leurs fusils et autres babioles
de guerre dans le puits. De retour dans l'abri, ils attendent
sagement.
Mme de Loÿs convoque alors son agent de liaison favori
«C'est fini. Tu peux y aller, ils sont prêts.»
Guy retourne auprès des Américains. Mission délicate:
il ne s'agit pas de se tromper, de leur faire croire qu'à
quelques mètres d'eux, une vingtaine d'ennemis les attendent,
prêts à leur sauter dessus. Guy s'explique lentement,
laborieusement, mais parvient à se faire comprendre: les
alliés descendent dans le souterrain, cueillent les Allemands
en douceur. Comme l'avait promis Mme de Loÿs, les blessés
les plus sérieux sont immédiatement évacués
vers un hôpital Britannique. Parmi eux, bien entendu, un
homme à la boîte crânienne éclatée
qui avait tellement impressionné Guy. Il survivra.
Un an après sa capture, il écrira à Mme de
Loÿs pour la remercier de lui avoir sauvé la vie en
le ligotant sur son brancard. Longtemps, chaque fin d'année,
le miraculé du 6 juin adressera une carte de Noël
au château de Gruchy. |
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