Voici le récit de Janine Chambrin, née
Dubois:
Madame CHAMBRIN Janine
(née Dubois): en 1944 , écolière âgée
de 11ans, résidant à Vierville, à la dernière
ferme à droite route de Grandcamp (ferme Dubois à
l'époque)
"Des soldats allemands ou américains ? "
"J'ai vu et rencontré des soldats américains
dès le 6 Juin 44, mais je ne sais pas à quelle
heure ! je ne me suis pas rendu compte de la façon dont
la journée est passée ; c'était certainement
dans l'après-midi, j'étais dans le jardin avec
mes parents. Suite aux bombardements intensifs qu'il y avait
nous étions allés nous mettre dans un abri recouvert
où il y avait des chevaux et les allemands qui les gardaient.
En effet, les abris dans des trous du jardin ne nous protégeaient
pas assez : l'aviation était si nombreuse et les bombardements
si violents que nous avions pris peur et décidé
d'aller sous l'abri couvert. Mon père qui était
parti aux nouvelles a aperçu plein de soldats dans la
route qu'il a pris pour des soldats allemands sur le moment.
L' un des soldats qui logeait à la maison, car les allemands
avaient réquisitionné des pièces, est venu
dans la cour et les soldats de la rue lui ont tiré dessus
! Mon père s'est aperçu que c'était des
américains et il est allé au devant d'eux et il
leur a dit " Jai toute ma famille à l'abri "
"Une rose pour les américains
"
Ils sont venus nous chercher dans l'abri ; malheureusement
je ne me souviens plus trés bien de ces américains
ni de la conversation, j'étais trop jeune ; Mais je me
souviens que quelques instants plus tard ma mère a cueilli
une rose et m'a envoyé la porter à l'un des américains
qui était là en guise de bienvenue, de bon accueil
et de reconnaissance.
"Un commando?... ou ... Un
véritable débarquement ? "
Les américains nous ont appris qu'il y avait le débarquement,
parce que nous, jusque là nous avions pensé à
un commando. Il y avait déjà eu sur Vierville
de nombreux commandos avec des bateaux qui étaient venus
et nous nous sommes rendus compte à ce moment là
, seulement, que c'était le débarquement : nous
sommes allés voir à la fenêtre, à
l'arrière de la maison et nous avons aperçu tous
les bateaux qui couvraient la mer ; et c'est seulement à
ce moment là que nous avons réalisé que
c'était le véritable débarquement.
"Je garde mon chapelet ! "
Je me souviens que quelques jours plus tard un soldat avait
voulu que je lui donne un petit chapelet que j'avais sur une
toute petite poupée qui représentait une communiante
; en effet à Vierville la communion avait eu lieu le
dimanche et le débarquement le mardi, et moi j'avais
fait ma communion le dimanche et j'avais eu cette poupée
et le chapelet, aussi je ne pouvais donner le chapelet ! j'étais
trop petite pour comprendre. Plus tard, j'ai beaucoup regretté.
" Nervous... le chocolat "
Le soir du débarquement la première chose que
l'on nous a offert c'était des tablettes qui ressemblaient
à des tablettes de chocolat et que les américains
voulaient que l'on mange en nous disant " Nervous ! nervous
! nervous ! " Ma mère n'a pas voulu que j'en prenne
parce qu'elle pensait que c'était plutôt une sorte
de médicament pour doper et que l'on donne souvent aux
soldats pendant la guerre pour qu'ils n'aient pas peur et soient
vaillants.
"Couverts de cadeaux "
Un peu plus tard, nous sommes allés dans le secteur
américain, nous étions couverts de cadeaux du
genre : boîtes d'ananas, boîtes de fruits, cartouches
de cigarettes, chocolat... enfin une profusion de bonnes choses
! Par contre, nous autres pour les accueillir à la ferme,
et bien il y avait du cidre bouché et... de la goutte.
Avant de boire le cidre bouché, au départ il fallait
que l'on goutte parce que les américains étaient
méfiants.
"je reconnais la dame.."
Lors de l'anniversaire du quarantième, il y a 10 ans,
j'ai rencontré un ancien combattant qui était
âgé et qui cherchait mon père, alors décédé.
Je lui ai dit " Mr Dubois est décédé,
mais par contre, j'ai ma mère qui est là, encore
! " Il a dit :" Je vous reconnais, je reconnais la
dame qui m'a servi à boire au débarquement, je
vais pouvoir dire à mes enfants : j'ai revu la dame ...
grâce à qui je croyais avoir perdu la guerre !
" En effet nous leur avions offert du calvados que les
américains ne connaissaient pas et ils avalaient leur
verre comme un verre de vin : ils avaient failli s'étouffer
!
" tu m'écriras ..."
J'ai conservé des douilles de cuivre, comme beaucoup
de gens, peut-être même quelque part je dois avoir
des goupilles, peut être, je ne me souviens plus. J'ai
aussi un tout petit livre de prières qui m'a été
donné par un pasteur qui avait mis dessus son adresse
et m'avait dit " Quand tu sauras bien parler anglais, tu
m'écriras à cette adresse " Et comme je n'ai
jamais su très bien parlé anglais, je n'ai jamais
écrit comme une vilaine que je suis ! "
Interview du 15/12/93 à Vierville
Recueilli par Benjamin Veyrat et Mickael Campo
Transcrit par Marina Pesquerel et Sophie Godé
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