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Le Lieutenant Rockwell et
ses LCT chargés de chars amphibies
(détails)
un LCT Mark 6, avec portes avant et arrière, et
passerelle sur tribord.


Le matelot Martin Waarvick, chargé sur le LCT 589 de manoeuvrer
le moteur de la porte avant du LCT. Il a pris des photos le jourJ
avec un appareil peu performant. Ci-dessous on voit les 4 chars
DD qui viennent de quitter le LCT. La photo est prise du LCT se
retirant.
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(Extraits de "6 juin
à l'aube" de David HOWARTH, traduction, aux Presses de la
Cité)
Ces chars amphibies constituaient alors
une invention nouvelle et on les employa sur toutes les plages.
Ceux destinés à Omaha se trouvaient à bord
de seize chalands, commandés par un enseigne de vaisseau
de réserve, nommé Dean L. Rockwell, venu à
la marine par amour de la boxe, si curieux que cela puisse paraître.
Originaire de Détroit, il était en effet boxeur
professionnel et n'avait jamais vu la mer, sauf à l'occasion
de son voyage de noces, en Floride. A Détroit, il apprit
que Gene Tunney, le poids lourd, alors devenu capitaine de corvette,
faisait une campagne de recrutement. Par admiration pour Tunney,
Rockwell s'engagea dans la marine comme instructeur d'éducation
physique.
Ce fut une déception. Il n'approuva
pas les méthodes employées par la marine dans ce
domaine et ses incessantes critiques lui valurent une réputation
de bolcheviste. Pour l'en châtier, ses supérieurs
l'affectèrent aux chalands de débarquement, considérés
par eux, comme une sorte d'arme-suicide. Là, Rockwell découvrit
sa vocation. Les vrais marins pouvaient trouver ces bâtiments
hideux, peu manoeuvrants, incapables de tenir la mer, mais lui
leur voua une espèce de passion et, à cause de cela,
acquit vite la maîtrise de leur maniement.
Il était alors sous-officier mais
on lui donna bientôt le commandement d'un de ces chalands.
Il devint officier et, au moment du débarquement, se trouvait
à la tête d'une flottille, ce qui le rendait parfaitement
heureux. En mars, convoqué à la base navale de Dartmouth,
il apprit qu'on l'avait choisi pour une besogne nouvelle, à
exécuter en liaison avec l'armée. D'abord contrarié,
il changea vite d'opinion, car on lui apprit l'existence des chars
amphibies en lui demandant d'étudier la technique de leur
mise à l'eau à partir d'un chaland de débarquement.
Là aussi, il devint rapidement très expert et, ce
faisant, conçut la plus vive admiration pour les équipages
de chars.
La traversée fut très dure pour les équipages
des chalands mais probablement encore plus pour ceux des chars.
Après un faux départ, ils quittèrent Portland
à 9 h 15 du matin, avec la perspective de vingt heures
de voyage devant eux. La mer se creusa de plus en plus. Ces chalands
comportaient trois sections, boulonnées l'une à
l'autre, les machines se trouvant dans celle de l'arrière.
Chargés de quatre chars, ils travaillaient beaucoup, donnant
l'impression de pouvoir se casser par le milieu. La mer balayait
fréquemment le pont. Rockwell dut lui-même admettre
qu'ils se comportaient très mal. Gouverner était
très difficile, tenir son poste dans la formation, impossible.
Les abordages furent nombreux. Aucun ne revêtit un caractère
de gravité, mais, à tout moment, les chalands devaient
manoeuvrer, tombaient en travers des lames et s'écartaient
du convoi, tandis que l'homme de barre tournait frénétiquement
sa roue.
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La plupart des hommes des chars
eurent le mal de mer de bout en bout. Ils s'inquiétaient,
en outre, des conditions qu'ils rencontreraient devant la côte
française. Seraient-ils capables de lancer leurs engins ou
tout leur entraînement resterait-il perdu? Le même souci
pesait sur l'esprit de Rockwell. Tout le monde savait que les chars
amphibies ne pouvaient flotter par mauvais temps, c'était
si évident que personne n'avait jamais risqué un blindé
et sa propre vie en le tentant. Dans ce cas, prévoyaient
les ordres, les chalands pousseraient jusqu'à la plage pour
y débarquer directement. La décision serait prise
sur place, disposition judicieuse en soi, mais qui, étant
donné l'importance du rôle des chars dans le débarquement,
plaçait une responsabilité extrêmement lourde
sur les épaules de jeunes officiers.
Avant d'atteindre le point prévu
pour la mise à l'eau, les seize chalands devaient se séparer
en deux groupes de huit. (un groupe pour Vierville et
l'autre pour Colleville) Dans chacun de ces groupes, l'officier
de marine et l'officier de l'armée les plus élevés
en grade se consulteraient pour décider de la solution
à adopter. Personne ne leur avait dit comment trancher
s'ils ne se trouvaient pas d'accord.
La nuit ne fit qu'ajouter aux difficultés.
Rockwell ni aucun des commandants de chaland ne purent dormir.
A l'aube, Rockwell fut ravi et quelque peu surpris d'apercevoir
ses seize bâtiments encore à flot et relativement
groupés. Il les conduisit à travers la ligne des
transports d'infanterie, mouillés à quinze kilomètres
de la terre, en suivant des chenaux balisés au préalable
par les dragueurs, puis dépassa également les navires
de guerre qui attendaient le moment d'ouvrir le feu. Les deux
groupes se séparèrent alors, celui de Rockwell se
dirigeant vers l'extrémité occidentale de la plage,
l'autre vers l'Est.
Dès que le jour fut suffisant pour permettre d'apprécier
les creux, Rockwell acquit une certitude: les chars ne pouvaient
gagner la terre par leurs propres moyens. L'officier de l'armée
le plus élevé en grade se trouvait sur un autre
chaland. Rockwell, se préparant à discuter, monta
sur un des chars et l'appela par phonie. A sa grande satisfaction
il trouva, chez son correspondant, l'écho de ses propres
pensées.
"Je ne crois pas que nous puissions y parvenir. Voulez-vous
nous conduire jusqu'à la plage?
- Très certainement."
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(détails)
les hélices des chars amphibies DD
(Duplex Drive)

(détails)

(détails)
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Les huit gros chalands, très
vulnérables parce que non blindés, allaient donc s'exposer
au danger que l'emploi des DD devait justement éviter, mais
Rockwell y était préparé depuis toujours et
la perspective ne lui déplaisait pas. L'important était
de mettre les chars à terre sans se soucier de ce qu'il pouvait
advenir des chalands.
A ce moment, ceux-ci avançaient en
ligne de file, cap à l'est prêts à lancer
les engins. Il leur signala de se préparer à abattre
de 90 degrés pour se trouver en ligne de front, et ordonna
l'exécution à 5 h 30. Tous effectuèrent l'évolution
à la perfection et se dirigèrent vers Omaha. Cette
vue emplit Rockwell de fierté.
L'autre groupe (celui qui devait
aller devant Colleville) décida de lancer. En moins
de trois minutes, vingt-sept des trente-deux DD se trouvèrent
ainsi au fond de la Manche, 135 hommes noyés ou luttant
pour sauver leur vie. Les lourds chalands ne pouvaient guère
recueillir les survivants, le mieux que leurs équipages
fussent capables de faire consistait à lancer des ceintures
de sauvetage à la mer pour permettre aux nageurs d'attendre
l'arrivée d'embarcations plus légères.
Ainsi donc, dans la partie orientale de
la plage, les fantassins reçurent le concours de cinq DD
seulement, au lieu des trente-deux prévus.
Rockwell ne vit pas, de ses yeux, cette
preuve tragique de la justesse de la décision, il était
trop absorbé à regarder la terre et sa montre. Le
temps revêtait, en effet, une importance capitale. S'il
arrivait deux minutes trop tôt, il se trouverait sous la
fin du bombardement naval; s'il arrivait deux minutes trop tard,
l'infanterie ne disposerait pas des chars au moment où
elle en aurait le plus besoin.
Or, le point de lancement des chars avait
été choisi en fonction de la vitesse de ceux-ci
et les chalands étaient plus rapides, il fallait donc perdre
du temps. Le problème n'eût pas été
bien ardu dans des circonstances ordinaires mais elles étaient
bien loin de l'être. Les obus des cuirassés et des
croiseurs passaient au-dessus de la tête de Rockwell. De
chaque côté du secteur réservé aux
chalands de débarquement, les destroyers et l'artillerie
terrestre crachaient de tous leurs tubes. Le vrombissement des
avions, bien que ceux-ci fussent invisibles au-dessus des nuages
ajoutait à tout ce vacarme. Puis, quand Rockwell approcha
de la plage, les chalands lance-fusées commencèrent
leur fracas particulièrement terrifiant, tandis que, sur
ses propres bâtiments, les chars mettaient leurs moteurs
en marche.
La fumée dissimulait alors presque
complètement la côte, seul le sommet des falaises
se détachait encore sur le ciel. Pendant un certain temps,
Rockwell perdit la vue de ses amers. Fort heureusement, une risée
balaya brièvement la fumée au débouché
d'une des vallées, laissant apercevoir des villas. Rockwell
constata que le courant faisait dériver ses bâtiments
vers l'Est. Il les fit obliquer sur tribord et augmenta de vitesse.
Au moment précis où le bombardement naval cessa
pour se transporter plus à l'intérieur, les chalands
se trouvaient exactement devant les points qu'ils devaient atteindre,
n'ayant plus que six cents mètres à parcourir.
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Les 2 positions de jupe du char Sherman amphibie DD
(détails)la
rampe spéciale des LCT équipés pour lancer
des chars amphibies
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Telle était bien la scène
que Rockwell n'avait cessé d'imaginer depuis son affectation
aux navires de débarquement, à une exception près,
cependant: il s'attendait à aborder sous le feu. Or, jusque-là,
pas la plus petite opposition ne s'était manifestée.
Dans le vacarme ambiant, il n'avait pu reconnaître si les
Allemands ripostaient. Seules des fusées mal lancées
étaient tombées à son voisinage.
Malgré l'éloignement du bombardement
naval, le tumulte ne diminua pas. Désormais il provenait
des moteurs de ses quatre chars et du canon du premier qui tirait
déjà par-dessus la rampe. L'immense plage, couverte
d'obstacles, paraissait tranquille. Les villas étaient
en ruine, les falaises désertes, de la fumée montait
çà et là d'herbes incendiées. Devant
ses yeux, aucun homme, vivant ou mort, ne se présentait.
Tout avait l'apparence d'un lieu ravagé par quelque séisme
et abandonné par ses habitants. Au cours de ces deux minutes,
de 6h27 à 6h29, pendant lesquelles les chalands approchèrent
des rouleaux, stoppèrent et s'échouèrent,
il fut possible de concevoir l'espoir que le bombardement avait
joué son rôle, que les défenses étaient
bien détruites.
La rampe du chaland de Rockwell s'abaissa,
le premier DD avança, bascula du nez, descendit dans un
mètre cinquante d'eau et progressa vers le sable, à
cinquante mètres de là, parmi les rouleaux qui se
brisaient sur lui. Ce fut à ce moment que les Allemands
s'animèrent. Peut-être avaient-ils attendu délibérément,
mais, plus probablement, les artilleurs venaient juste de sortir
des abris dont la résistance aux gros projectiles avait
été si mal appréciée. Rockwell vit
des langues de feu jaillir au flanc des hauteurs. Pendant les
premières secondes, le tir fut mal ajusté et le
second char put descendre. Puis, trois chalands, à droite,
furent atteints, en succession rapide, par une pièce de
88 mm qui prenait la plage d'enfilade.
Rockwell regarda son troisième DD quitter la rampe,
se présentant de côté à l'ennemi. Il
passa cependant, bientôt suivi par le quatrième.
Rockwell fit alors relever la rampe et mit sa machine en arrière.
Il était l'heure H, très précisément.
Les chars se trouvaient à terre, Rockwell n'avait plus
qu'une mission: ramener ses bâtiments en sécurité,
s'il le pouvait. Sept parvinrent à se déséchouer,
mais deux brûlaient. D'autres pièces avaient ouvert
le feu, dans les falaises, elles ne tiraient cependant plus sur
les chalands. Rockwell vit le premier de ses chars négocier
son chemin à travers les obstacles. A peine avait-il parcouru
dix mètres après être sorti de l'eau, qu'il
s'environnait de flammes. Regardant derrière lui, Rockwell
aperçut alors la nouvelle cible des Allemands : les embarcations
amenant l'infanterie qui avançaient sous une grêle
d'obus. (la cie A du 116ème régiment).
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