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Un commando
allié dans le village de St-Laurent-sur-Mer,
la nuit du 5 au 6 juin 1944
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Cette action a été occultée
pendant de nombreuses années. Ce n'est que récemment que
la confrontation de diverses sources d'informations a permis de réunir
quelques données cohérentes.
Mais de nombreux éléments essentiels manquent, notamment
:
- Aucun témoignage personnel des participants, probablement liés
par un engagement commun de ne rien divulguer, engagement tenu jusqu'à
leur décès,
- Absence dans les archives publiées, de toutes indications sur
les objectifs précis de l'action et de tout compte-rendu d'exécution.
Voici les données que j'ai pu réunir à ce jour
(Cliquer sur l'image pour voir détails)
1 - Témoignage de Edmond
Scelles, 16 ans en 1944, qui habitait avec ses parents la ferme
du Prieuré, à côté de l'église de
St-Laurent sur Mer. Il a raconté dans un très long interview
ses journées des 6 et 7 juin 1944:
".....Mais par contre à
05h00, le 6 juin, la canonnade a commencé. Mais, on ne savait
pas que c'était le débarquement. Comme il y avait eu un
coup de main en 42, on s'est dit que c'était peut-être
un coup de main qu'ils faisaient en bas. On ne savait pas. Ca canardait
en bas de la falaise, tout le long.
"Là, on s'est levé car çà canardait
tellement fort. Mes parents voulaient voir.
"Vers 07h00, on est parti voir à l'étable les vaches
pour les traire. Il y avait déjà eu des parachutistes
américains: les fils du téléphone allemand qui
passaient sous terre étaient coupés, je suis formel, je
l'ai vu. Il y avait une petite tranchée qui avait été
faite, et puis ils étaient coupés. Le câble était
gros, il y avait un petit câble et un gros câble. Ils étaient
coupés. Donc, il y avait eu une infiltration d'Américains.
Je suppose dans la nuit, ou sur le matin, je ne peux pas dire. Moi,
je m'en suis aperçu quand il était 7 heures. Ensuite,
on est rentré à la ferme, çà canardait toujours
en bas, il n'y avait rien dans l'intérieur. Les Allemands, on
les voyait pas car ils étaient planqués.
"Il y avait un Allemand qui était resté, car il gardait
la ferme, je lui ai dit: " qu'est ce que c'est? " Il m'a dit
" non, les grandes manuvres, les Tommies, les Tommies! "
Par le jardin, on voyait très bien la mer, j'ai été
voir avec lui. Après, j'ai appelé ma mère, c'est
là qu'on a vu qu'il y avait tous ces bateaux sur la mer.
"Il n'y avait plus qu'à attendre."
2 - Un autre témoignage
bien connu lui aussi dans le village, est celui d'Albert André,
adolescent, qui habitait une maison du bourg, à environ 300 mètres
sur la route conduisant vers Colleville et Port-en-Bessin.
Il a raconté comment il a vu en pleine nuit du 5 au 6 juin, plusieurs
hommes armés, placés en embuscade, tuer silencieusement
à l'arme blanche, les quelques soldats allemands qui logeaient
chez lui et qui sortaient de la maison un par un, équipés
et armés.
Remarque: Le 6 juin 44,
vers 1 ou 2h du matin, le PC de la 352ème division allemande
(au Molay-Littry), ayant appris les premiers parachutage au sud de Carentan
et au delà de Caen, a fait mettre en alerte générale
toutes ses unités réparties entre Grandcamp et Arromanches.
En particulier toutes les unités côtières ont reçu
l'ordre de rejoindre immédiatement leurs postes de combat. Cette
procédure était bien connue des troupes allemandes par
les alertes précédentes et les exercices pratiqués
fréquemment.
3 - Au moins 2 autres habitants de St-Laurent
ont témoigné:
31 - Gaston Dupont, aurait lui aussi rencontré quelques
hommes inconnus et armés au milieu de la nuit et leur aurait
servi un café.
32 - L'abbé Prempain, curé de la paroisse
de St-Laurent à l'époque, a fait l'objrt d'un entrefilet
dans une publication locale, que je cite car elle est précise,
ce prêtre était digne de foi et son récit a été
divulgué peu après la guerre.
4 - La recherche dans les archives
des USA (OSS) et du BCRA français a fait apparaître
une liste assez complète des opérations menées
en France occupée en 1944, pour la préparation du Débarquement,
par les services secrets américains (OSS - Office of Strategic
Service - et son bureau londonien), avec la collaboration du service
français BCRA (Bureau Central de Recherche et d'Action) à
Londres).
Ainsi dans le cadre de ce plan nommé SUSSEX / PROUST, une opération
de parachutage a été réalisée: la mission
Driver / Ascain, sommairement décrite dans les dossiers:
Organisation: PROUST / OSS
Lieu: DZ (Dropping Zone ou zone
de largage de parachutistes) : Entre Grandcamp et Saint-Laurent-sur-Mer.
Date: non précisée en Juin 1944, quelques dates
citées avec des incertitudes: 12 ou 19 ou 20 juin 1944
Remarque: entre le 12 et le 20
juin, toute la zone entre Grandcamp et St-Laurent était déjà
entièrement entre les mains des Américains qui avaient
dépassé Trévières et Isigny. Les dates indiquées,
qui ne sont pas crédibles pour la mission ASCAIN, pourraient
alors correspondre aux debriefing des agents parachutés, après
leur retour à Londres.
Participants:
12 agents français parachutés, tous officiers ou sous-officiers
détachés auprès de l'OSS/G2 de la 1ère
Armée US, dont les noms suivent:
Capitaine Roger GUATTARY, alias Basco
(Fr)
François BONAFOS, alias François Contet (Fr)
Louis CHEVALLIER, alias Louis Tournier (Fr)
Yves DUREMEYER, alias Dargeles (Fr)
Arthur LAURENT, alias Dupin (Fr)
Jean MASSON, alias Jean Moutier (Fr)
Norbert MEYER, alias Norbert Martin (Fr)
Fernand NOCETTI, alias Henri Bauge (Fr)
Yves POLLET, alias Georges Pocquet (Fr)
Albert POUPART, alias Viallat (Fr)
Henri STUBER, alias Aicard (Fr)
X, alias A. Beaupin (Fr)
Les 6 agents américains de l'OSS,
organisateurs de la mission à Londres étaient les suivants:
Major R. LAMBERT
Major Liman Jr KIRKPATRICK
Lieutenant Harry R. RUSSEL
Lieutenant John MOWINCKEL
Sergeant JW ROBICHAUD
Sergeant WERTHEIMER
Aucun ordre d'opération, ni objectif détaillé,
ni compte-rendu n'étaient joints aux documents publiés.
5 - Le rôle d'un groupe de résistants français
présent sur place à Saint-Laurent sur Mer le 6 juin
1944 n'a été révélé que récemment.
Après la mort des derniers participants français du commando,
qui avaient gardés le silence, certaines familles ont révélé
ce qu'elles savaient, au moins partiellement, notamment la réalité
de ce parachutage nocturne à St-Laurent dans la nuit précédent
le débarquement sur Omaha Beach
Un parachutage précis dans la
nuit ne pouvait se faire sans une équipe de réception
locale capable de baliser une DZ ou dropping zone (zone de largage des
parachutistes) à choisir dans un secteur isolé des positions
allemandes et proche de l'objectif.
C'est un groupe de résistance
existant sur place qui a fourni cette assistance. Ils
faisaient partie du Réseau "Alliance", fondé
dès 1940 par le Commandant Loustanau-Lacau. Une de ses zones
d'action dans l'Ouest (le secteur "Ferme") était confiée
à Jean Roger dit "Sainteny". (Sainteny qui avait des
attaches à Aignerville et à Vierville où il était
propriétaire d'une villa à la mer).
Le secteur du Bessin était sous
la responsabilité de M. Couliboeuf (dit "Bison noir"),
instituteur à Formigny, et disposait d'un opérateur radio
Rodriguez (dit "Pie"), d'une boite aux lettres à Bayeux
et de plusieurs groupes de recherches de renseignements, dont un entre
Trévières et le plage de Vierville/St-Laurent .
Il s'agissait du groupe de Désiré Lemière, Robert
Boulard, Charles Olard (tous trois postiers), Lucien Olard (garagiste
à Vierville), Albert Anne (forgeron à Asnières),
et quelques autres. Cette équipe observait et transmettait
des renseignements, profitant des facilités de circulation des
postiers qui pouvaient discuter avec les habitants sans attirer l'attention.
Le réseau Alliance, comme la plupart
des réseaux de résistance a été durement
touché par la répression. Malgré toutes les précautions,
il était difficile d'éviter des infiltrations par des
agents français travaillant pour le compte des Allemands. Quant
aux radios, ils étaient facilement repérés par
radiogoniométrie, ce qui les obligeaient à se déplacer
constamment et à des cadences très rapides.
Plusieurs agents de ce groupe ont été arrêtés
par les Allemands du contre-espionnage le 5 mai 1944 (la plupart ont
été fusillés par les allemands à la prison
de Caen le matin du 6 juin 1944), mais début juin le groupe
était toujours capable d'assurer, vers minuit le soir du 5 juin,
la réception du commando de parachutistes sur une DZ située
au sud de la vallée du Ruquet. (voir photos aériennes)
La trace de leur passage a été
marquée par l'embuscade à l'arme blanche vue par Albert
André près de sa maison. Des hommes en armes ont été
vus par un autre habitant de St-Laurent, Gaston Dupont. Enfin à
7h du matin, Edmond Scelles a remarqué que le câble téléphonique
allemand enterré près de sa maison "Le Prieuré"
avait été sectionné dans la nuit, mais sans savoir
par qui.
Un des objectifs de la mission Ascain était probablement de sectionner
ce câble qui reliait les WN fortifiés 64 et 65 défendant
la plage du Ruquet, au WN 69, Kommandantur de St-Laurent et PC de toutes
les unités (2 compagnies d'infanterie et un groupe de lance-fusées
Nebel Werfer) défendant la zone de St-Laurent / Les Moulins (WN
66, 67, 68).
Ce câble était bien visible en blanc sur les photos aériennes
des avions Alliés, depuis qu'il avait été enterré
quelques mois auparavant, l'herbe n'ayant pas encore repoussé.
Les renseignements locaux du réseau Alliance avaient probablement
montré la facilité de repérer et sectionner cet
important câble lorsqu'il franchissait le ravin profond entre
l'église et la ferme du Prieuré. Cela a probablement incité
l'OSS à tenter cette mission de harcèlement pour désorganiser
la défense allemande.
Le commando avaient ainsi agi en pleine nuit, à 1,5 km de la
plage où à l'aube allaient débarquer des milliers
de soldats américains. Ces soldats étaient encore, à
ce moment du milieu de la nuit, à bord de leurs transports de
troupes qui venaient d'arriver et mouillaient leurs ancres tranquillement
à 10 milles nautiques de la côte.
Il est plausible de croire que cette action réussie a pu faciliter,
dans la matinée du 6 juin, la neutralisation des WN du Ruquet,
puis le débarquement au même endroit vers midi des 2 régiments
de renforts américains. Ces débarquement se sont faits
sans opposition significative des batteries allemandes camouflées
dans les haies de l'intérieur, batteries dirigées par
des artilleurs observateurs placés sur la côte, dans chaque
WN important, et reliés par fils téléphoniques
enterrés.
Remarque : une autre mission de ce genre semble bien avoir été
menée à Vierville au même moment, avec des soldats
américains habillés en uniformes allemands, mission restée
aussi secrète que celle de St-Laurent. A ce jour et à
ma connaissance, ni les acteurs américains, ni leurs familles,
n'ont brisé le secret, nous avons seulement quelques témoignages
de civils français, incertains, parcellaires et difficiles à
relier entre eux.
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