La seule fausse note eut lieu un après-midi de septembre
1941; un pilote sans nul doute novice voulut saluer son colonel
et lui montrer de quoi il était capable ; il arriva en rasant
les vagues et amorça un looping, mais n'étant pas monté assez
haut il ne put redresser son appareil assez vite, et celui-ci
piqua du nez dans la mer.
J'étais en observation dans la maison du village (celle
où Michel Hardelay s’était réfugié avec sa mère, au bout de
l’impasse de l’épicerie Dumont) et n'ai rien perdu du spectacle,
l’œil rivé à ma longue-vue. Le pilote avait pu se dégager à
temps et je le vis nager ou plutôt flotter, son parachute faisant
office de bouée de sauvetage. Une vedette vint le recueillir
une demi-heure plus tard. Une trentaine d'années après un chalutier
de Port‑en‑Bessin ramena dans ses filets le moteur
et l'hélice de ce chasseur.
Puis ce fut l'échec
de l'armée allemande devant Moscou; par une fraîche matinée
du début d'avril 1942 je vis le lieutenant se promener lentement
dans le jardin accompagné d'une ''souris grise"; C'était
le signe d'un proche départ de l'unité qui avait passé dix-huit
mois à Vierville. Certains allaient partir sur le front de l'Est,
mais les chouchous du maréchal Goering (le chef de la Luftwaffe)
allaient finir la guerre à Jersey ou à Guernesey après
un bref passage à Granville où j'ai eu la surprise de manger
dans une assiette de notre
service en 1945 au mess des officiers de cette garnison.
Les armées ont l'habitude de servir des mêmes
locaux que leurs prédécesseurs, les villes leur proposant
les mêmes immeubles pour plus de commodité.
Les aviateurs allemands nous ayant prévenus qu'une unité
du génie allaient procéder à certains
aménagements, nous décidâmes de récupérer tout ce qui
pouvait l’être : gros meubles rarement intacts, portes, appareillage
électrique.
Nous devions remonter les objets par la falaise; ce
fut une course avec d'autres récupérateurs car nous avions beau
fermer la villa à notre départ, nous la retrouvions ouverte
le lendemain, certains allemands n'hésitant pas à forcer les
portes pour profiter de la literie médiocre laissée sur place,
et ce parfois en galante compagnie.
La société d'électrification
- ce n'était pas encore
l'E.D.F.- s'était empressée de démonter ses compteurs et
son transformateur alimentant la plage, de récupérer ses câbles
ou, du moins, ceux que les Allemands n'avaient pas pris; quand
aux poteaux ils devaient servir à de multiples usages bien différents
à celui pour lequel ils avaient été employés.
Et les destructions commencèrent avec l'arrivée du génie.
2 ‑ L'INFANTERIE occupe le village.
A mon arrivée l'infanterie s'était organisée pour passer
l'hiver et surveiller la zone qui lui était attribuée; elle
contrôlait la population, régentait les corvées, notamment les
transport, par des demandes auprès du maire. Comme nous étions
en zone côtière "dite interdite" pour les habitants
hors zone, chaque maison devait avoir à l'intérieur sur sa porte
d'entrée un papier portant le nombre et les noms des occupants
certifié par l'autorité allemande et chacun devait posséder
un « ausweis » prouvant qu'il habitait en zone interdite.
La ville de Bayeux se trouvait hors zone, celle-ci commençait
sur la RN 13 et en direction de Cherbourg en haut de la côte
de Vaucelles; il y avait en ce lieu un panneau qui signalait
que l'on pénétrait en zone côtière et qui avertissait les personnes
qu'elles devaient être munies d'une autorisation spéciale, mais
il était très rare qu'il y ait un contrôle par la Feld-Gendarmerie.
(la gendarmerie militaire allemande)
Par contre cet ausweis était très utile en cas de vérification
d'identité en zone occupée et m'a rendu bien des services dans
le métro ou à l'arrivée à la gare Saint‑Lazare, car il
supposait que j'étais connu des services allemands et surveillé
par ceux-ci.
Pour la troupe les locaux ne manquaient pas : toutes
les chambres meublées de Fernand (Le Gallois), le propriétaire
du bazar de la plage, l'hôtel du Casino et celui de la Plage
‑ appelé par la suite de la "Place" ‑
(l’hôtel Merlin, détruit par incendie dans les années
80 ou 90), la "Fontaine" (La Pie qui Tette)
et même la mairie, qui ne servait guère.
Le château de Vierville devait être réquisitionné en 1942 (en
fait, Michel Hardelay fait une erreur, le château n’a été réquisitionné
complètement que le 2 mars 1944, auparavant seuls 1 ou 2 officiers
ont été logés depuis 1940, avec leurs ordonnances
dans les communs) et abriter les ouvriers de l'entreprise
Todt qui travaillait à la construction du "Mur de l'Atlantique"
3 ‑La KRIEGSMARINE ‑ Effectif réduit.
La
marine Allemande était aussi présente à Vierville mais ne comportait
que trois ou quatre représentants qui occupaient "La Rinascente »,
une villa située presque en haut
de falaise au-dessus de l'hôtel du Casino. (il s’agit,
je crois, de la villa de Monsieur Mary à l’époque)
Ces marins, non navigants, devaient rester jusqu'au débarquement;
on apercevait de la plage plusieurs antennes autour de leur
poste ce qui laissait supposer que leur travail consistait à
recevoir des messages des navires et sous-marins, à transmettre
des ordres ou a établir un bulletin météo.
Ces
marins vivaient en vase clos sauf un que l'on surnommait "La
Pipe" car il avait un éternel "brûle-gueule"
au coin de sa bouche. C'était un homme entre deux âges, brun,
connaissant quelques mots de français, mais antipathique et
sournois, et que certains prétendaient appartenir à la Gestapo;
la population s'en méfiait donc.
4 ‑ La PECHE avec autorisation.
Les
Allemands s'étaient
très vite rendu compte qu'ils avaient
tout intérêt à tolérer la pêche à pied car celle-ci permettait
à leurs troupes d'avoir un supplément non négligeable de nourriture
gratuite ou peu onéreuse par retenue à la source.
En
effet il était possible aux habitants d'avoir une autorisation
pour aller sur la plage à l'époque des harengs ( de septembre
à décembre ) afin de tendre leurs « harenguères ».
Mais, comme ces filets devaient être relevés de nuit, cela impliquait une entorse au couvre-feu
et un accompagnement par un ou deux soldats la nuit.
Par
contre, avant de permettre aux pêcheurs de se rendre sur les
lieux de pêche en ouvrant la barrière située en bas de la rue
de la Mer, certains soldats avaient eu le temps de faire certains
prélèvements lorsque les prises étaient nombreuses et avant
que les renards ne le fassent, ce qui n'était pas rare.
Les autorisations étaient également valables pour la pêche dans
les rochers sous les communes de Louvières et d'Englesqueville,
mais de jour seulement, et sous la surveillance des soldats
occupant les hauts de falaise. Ceux‑ci n'ignoraient pas
la pêche au fusil, quitte à utiliser les « dévalous »
pour aller chercher leurs cibles. qui étaient toujours de grosses
pièces, congres ou bars.
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Le
premier évènement grave
survint peu après mon arrivée,
c'est-à-dire durant l'hiver 1940‑1941, alors qu'il
y avait de la neige en bord de route.
Fernand,
(Le Gallois) le propriétaire du bazar de la plage qui
se trouvait alors à l'emplacement du monument‑, actuel
de la National Guard U.S., avait une âme de naufrageur récupérateur
( sa famille n'avait elle pas acheté aux Domaines pour le découper
l'épave du bateau échoué pendant la première guerre mondiale
dans la "fosse" de Louvières ) ‑ Il avait au
cours d'une prospection sur la plage trouvé et rapporté un objet
en cuivre assez lourd.
Arrivé devant la devanture de son bazar il le jeta à
terre; mais l'objet en question était sans doute un détonateur
de mine qui demandait à être manié avec précaution, il explosa
et le souffle décapita Fernand.
Heureusement aucun des militaires hébergés à proximité ne fut
blessé, pas même le planton de garde au barrage de la route,
mais les autorités allemandes crurent aussitôt à un attentat.
Il fallut l’intervention du maire, (Monsieur Dubois, fermier
dans la dernière ferme sur la droite, route de Grandcamp) ancien
prisonnier de guerre en Allemagne et, qui pouvait se faire comprendre,
pour leur démontrer que c'était un accident fortuit, que le
responsable était mort et qu'il n'y avait que des dégâts matériels
insignifiants.
Pendant ce temps on recherchait la tête de Fernand; on la retrouva
finalement au-dessus du faux plafond de la devanture qu’elle
avait percé et qui s'était refermé après son passage.
Cet
incident n'eut pas de suite et rien de notable ne devait avoir
lieu en 1941. (La date exacte peut se retrouver. Il suffit de
consulter les actes de décès à la mairie de Vierville -c'était
le 4 janvier 1941)
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5 ‑ Le GENIE ALLEMAND remplace la LUFTWAFFE.
Les
aviateurs nous avaient prévenus : vous verrez que le génie ne
respecte pas les constructions comme nous et vous nous regretterez.
A
part deux toiles de l'école italienne qui avaient pris le chemin
de Berlin où un hôtelier du nom de Bajus (?) les avait « recueillies »
nous avions retrouvé la plupart de nos bibelots plus ou moins
intacts. Nous avions remonté tous les meubles rarement entiers
car le plus souvent sans tiroirs, ceux-ci servant à faire des
caisses destinées à des expéditions.(des colis de produits
français pour les familles de soldats allemands)
J'avais
même réussi à sauver ma collection de timbres cachée sur une
poutre du grenier, mais il y avait dans une autre cache, très
difficile d'accès mais que l'on devrait fatalement
découvrir en cas de démolition, des armes de chasse :
deux fusils de calibre douze, un vieux fusil à broche de calibre
seize et une carabine vingt-deux long riffle avec les munitions.
(ces armes auraient dû être déclarées et remises aux autorités)
Le
génie avait commencé à occuper
le terrain au-dessus de notre
villa, ce qui devait devenir le point de défense Wn 70,
mais il tolérait que nous empruntions le sentier qui conduisait
à notre jardin. Il fallait donc passer devant eux à la descente
et à la montée. Par contre ils avaient l'habitude de nous voir
revenir avec un sac contenant de la nourriture pour nos lapins
: herbe, pissenlits et branches de fusain.
Je
préparais un trou dans le sol de notre cave ‑ c'était
une pièce du rez-de-chaussée non dallée ‑ et nous remontâmes
les armes dans le sac d'où dépassaient seulement quelques feuilles;
je les enterrais aussitôt arrivés.
Mais bientôt ils nous interdirent
de descendre à la villa par notre sentier; nous dûmes utiliser
celui de la villa"Sainte Anne" (probablement à
l'emplacement de la villa des Ponsard) et traverser le vaste
terrain non construit à
l'Ouest de notre propriété (là où sont aujourd’hui les maisons
Bunouf, Denys, Cordelle et Prost). Puis l'accès à notre
jardin nous fut complètement interdit au début de l'année 1944
(ou à la fin de 1943) lorsque les Allemands minèrent la zone
au dessus des falaises, entourant le village d'un réseau de
barbelés, mais ne possédant pas assez de mines pour rendre ce
minage complètement effectif; ainsi le terrain miné s'arrêtait
(en venant de St-Laurent) aux sapins du champ situé au‑dessus
de la villa "La Source" (villa Mathy) et reprenait
à l'Ouest de la rue de la Mer
Et pendant ce temps le génie travaillait dur; leur objectif
: s'enterrer sans laisser de traces visibles. La terre des tranchées
était évacuée et jetée dans la falaise, ce qui les obligeait
à creuser celles-ci jusqu'à 1,80 mètre et à les recouvrir d'un
dôme de grillage et d'herbe.
De
plus tous les points d'appui devaient posséder un abri à douze
mètres sous terre avec deux sorties distantes d'au moins cinquante
mètres. Pour ce travail ils avaient mis au point une technique
: ils commençaient par creuser un puits de douze mètres qu'ils
surmontaient d'un treuil; à partir du fond ils menaient une
galerie et un escalier de remontée avec un palier assez long
à mi montée afin qu'un lance-flammes ne puisse atteindre le
fond. Même préoccupation pour la galerie qui devait faire un
coude au pied de chaque escalier. La pièce aménagée à mi parcours
de la galerie devait être assez vaste pour que six hommes puissent
s'y allonger, six autres s'y tenir assis et que sur une petite
table on puisse poser un téléphone et quelques papiers, tous
les points d'appui étant reliés par câble enterré à un central
enterré, lui aussi, à la Kommandantur.
Les galeries étaient étayées avec des cadres jointifs
constitués avec des madriers de 22x08 de deux mètres sur un
mètre, ce qui laissait un passage de 1,84 sur 0,84 mètre.
Ces madriers provenaient évidemment des charpentes de
maisons démolies et un menuisier était affecté
spécialement à scier les madriers et à y tailler tenons et mortaises.
Chaque point d’appui avait son observatoire de tir sous dalle
de béton.
J'ai eu la possibilité, après le débarquement, de parcourir
les galeries des Wn 68 à St-Laurent, Wn 70 au-dessus de notre
villa et Wn 72 (Hôtel du Casino) (en fait il s'agit du WN71).
Le premier et le dernier avaient un accès en pied de falaise
et une sortie à mi falaise, mais comme le WN72 avait bénéficié
lors du creusement de sa galerie horizontale d'une voie ferrée
rectiligne pour l'évacuation des pierres ce qui la rendait très
vulnérable, un autre accès en courbe était en
cours de percement le 5 juin; les Allemands prévoyaient
d'obturer ensuite l’entrée située devant la salle à manger de
l'ex hôtel du Casino, ils n'en eurent pas le temps et durent
abandonner leur souterrain le 6 juin.
Cette amorce de galerie est actuellement derrière la
crêperie Saulnier.
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RELEVES DE
PLANS
Je n’ai jamais cherché
à savoir d'où venaient les directives qui consistaient à prévenir
la mairie des destructions de bâtiments qui gênaient le tir
des batteries côtières. Le maire, une fois prévenu, écrivait
alors au propriétaire si celui-ci avait laissé une adresse où
le joindre pour lui demander s'il possédait les plans de sa
demeure en vue d'une indemnisation future. Sinon ou sans réponse
à sa lettre j'étais désigné pour faire un relevé sommaire :
dimensions du bâtiment, nombre d'étages et d'ouvertures, consistance
et épaisseur des murs, nature de la couverture. Je remettais
chez moi ce travail au net et le déposais à la mairie. Le plus
souvent lorsque je parvenais au bâtiment celui-ci ne possédait
plus de toiture ni de plancher, les Allemands ayant le plus
urgent besoin de bois de charpente pour étayer leurs galeries
souterraines, mais cela ne contrariait pas mon travail et le
simplifiait même.
Je
dois dire, qu'ultérieurement, au moment où les commissions ont
été amenées à prendre connaissance des dossiers déposés par
les propriétaires et comparer les mesures de leurs plans avec
les miennes, on n'a constaté que des différences infimes; les
gens se sont montrés très corrects et n'ont pas essayé de "tricher" avec les dommages de guerre, sauf une vieille
dame qui, peut-être involontairement et sans s'en rendre bien
compte, a donné à son architecte des renseignements exagérés.
(Quand on a une petite villa qui mesure sept mètres sur quatre,
il suffit d'ajouter deux mètres à chaque dimension pour en doubler
la valeur).
Le
maire me prévenait que tel jour, à telle heure, un soldat allemand
m'attendrait au poste de la plage - au début du boulevard de
Cauvigny où se trouvait la lourde barrière de madriers et de
barbelés ouverte ordinairement dans la journée, pour m'accompagner.
C'était ordinairement toujours le même, un vieux type, qui était
très content de cette promenade en bord de mer et qui, arrivé au lieu désigné,
s'allongeait dans l'herbe et me laissait travailler en paix.
La démolition de toutes les villas du vallon
et de la plage commença au printemps 1943, sauf la villa
"Rinascente " située en haut de la falaise,
qui servait à la marine comme relais radio pour les U-Boots,
l'hôtel du Casino qui accueillait par roulement des détachements
en permission de détente, et servait de relais aux patrouilles,
et un immeuble voisin en béton, rebelle aux pioches du
génie allemand (la villa Cusinberche).
La construction de plusieurs blockhaus fut décidée,
le principal devant occuper l'emplacement du bar bazar de la
plage (Legallois), dont la démolition
commença durant l'été 43, mais en conservant
la plus grande partie de la façade côté
mer, comme camouflage. Durant cette démolition, et vers
le 15 août, un canon (le 88mm antichar
PAK 43 qui s'y trouve toujours) fut fourni
à l'unité pour le futur blockhaus, en cours de
coffrage et ferraillage. Les Allemands avaient remarqué
que la villa "Madeleine" située presque en
face du bazar était construite sur une grande dalle de
béton armé. Ils démolirent la villa ainsi
que le chalet mitoyen qui gênait la perspective sur la
plage, puis ils installèrent le canon, caché sous
une bâche, sur cette dalle et y apportèrent des
caisses d'obus. Comme un beau 88 était peint sur ces
caisses, on pouvait aisément en déduire le calibre
du canon. Le blockhaus fut terminé dans le courant de
l'hiver 1943-1944 et le canon y fut introduit. En même
temps la route fut barrée par un mur anti-char avec une
chicane laissant un passage de 75 centimètres. Le haut
du blockhaus fut agrémenté de quelques pans de
mur pour simuler des ruines. Une haie de tamaris qui surmontait
le talus de la route, côté mer, fut précieusement
conservée, car elle masquait, la vue de la plage, le
mur anti-tank et se confondait avec l'embrasure du blockhaus."
Mon travail commença par les dernières maisons de Vierville,
en limite de Saint‑Laurent et j'eus même l’occasion
de relever deux immeubles de Saint‑Laurent dont l’hôtel
du Cheval Blanc. C’est au cours de ces allers et
retours que nous rencontrâmes « les inséparables »,
(je devais les appeler ainsi par la suite), un vieux soldat
à cheveux et moustache blancs qui paraissait avoir l'âge de
la retraite bien sonnée et un gamin à qui on aurait donné tout
au plus quinze ans. Je me suis toujours demandé si ce n'étaient
pas le grand père et son petit fils. Ce dernier en
nous voyant posa une question à mon accompagnateur et cette
question se terminait par « SCHWEINKOPF » (tête
de cochon, une injure en allemand) je ne parle pas l'allemand
mais je sais ce que ce mot veut dire. Les deux vieux soldats
s'arrêtèrent de bavarder, gênés; je fis celui qui n'avait pas
compris mais mon regard croisa celui du gamin, et lui a su que
j'avais compris, il se tint coi. Je devais retrouver les inséparables
unis dans la mort le 8 juin 1944 à la porte de la Kommandantur
(manoir de Than) , le fusil à la main.
Avant
la construction du blockhaus qui devait abriter le canon de
88, celui-ci se trouvait stationné sur la dalle qui soutenait
la villa « Madeleine » (actuellement la salle des
fêtes) Le champ
de tir de cette pièce était limité sur son côté droit par la
villa "Les Embruns" (actuellement emplacement du
bazar de la Plage) qui du fait de l'avancée de la falaise
avait été construite avec un très faible recul sur le boulevard.
Ils décidèrent de la démolir ainsi que sa voisine "La Reposerie".
On
me prévint donc d'avoir à me trouver un certain matin au poste
de garde. Lorsque j'arrivais je trouvais un gradé qui m'attendait;
c'était un grand type, svelte, jovial; son uniforme n'était
pas en gros drap comme celui de son capitaine, mais du "sur
mesure" dans une bonne étoffe. Il me fit signe de le suivre
et, au lieu de commander à deux de ses hommes d'ouvrir la barrière, il s'engagea dans un jardin sur la
droite. Ce
jardin par manque d'entretien depuis trois ans était plutôt
un champ inculte envahi par les hautes herbes. Ayant parcouru
cinq ou six mètres il s’arrêta, me montra un fil de fer tendu
à dix centimètres du sol, l'enjamba et me fit signe de l'imiter;
pour un deuxième fil il fit de même, puis il alla mettre une
goupille dans un détonateur que j'entrevoyais dans les herbes;
il s'assura ensuite que je marchais dans ses traces et nous
nous retrouvâmes sur un terrain libre et dégagé. Il m'invita
alors à exécuter mes relevés car nous étions arrivés à proximité
de « La Reposerie ». En effectuant mon travail je
remarquais au bout d'une heure que deux soldats ouvraient la
barrière; mon travail terminé je pus donc passer par la voie
normale.
Mais
par la suite je me suis toujours demandé si l'adjoint du capitaine
( je devais le retrouver ultérieurement lors d'une corvée dans
le jardin de la kommandantur) tenait à ce que je connaisse les
pièges disposés en bas de la falaise ou si il n'avait pu trouver
deux soldats pour ouvrir la barrière, craignant d'abîmer
son uniforme.
Je
dois avouer que je connais mal les grades dans l'armée allemande.
Ce gradé étaitil lieutenant, sous-lieutenant ou adjudant ?
Je l'ignore.
Par
contre j'ai bien reconnu le maréchal Rommel lorsqu'il est venu,
en mai ou juin 1943 (je pense là aussi Michel Hardelay pourrait
se tromper, je pense que Rommel est venu 2 fois seulement à
l’automne 43 et en janvier 44), inspecter avec sa Mercedes
le poste en cours d'installation dans un de nos prés au dessus
de notre villa. Il avait son uniforme de campagne avec une culotte
noire à bandes rouges. J'étais en train de botteler du foin
dans un herbage voisin et j'ai pu apercevoir deux soldats enlever
une toile de camouflage qui masquait une position de mortier.
Le soir même la B.B.C. disait que le maréchal Rommel avait commencé
l'inspection du mur de l'Atlantique par l'Ouest du Calvados
et qu'il avait pu constater ses insuffisances. Mais qui avait
pu renseigner les Alliés si vite?
J'ai peut-être une petite idée sur la question .... en en posant
une autre. Qui était mieux renseigné que l'adjoint du capitaine
de la compagnie allemande de Vierville ? …. PERSONNE
(divers témoignages
tendent à supposer que cet officier était un agent des Alliés,
mais c’est tout de même peu vraisemblable)