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Destruction du mur anti-char de Vierville
Témoignage du Sergent Dube (partie1)

 

(le témoignage du Sergent Dube comporte aussi partie 2, partie 3, partie 4)



plan du LCT mark 5


(détails) Un LCT débarque un bulldozer


(détails Le bunker principal de Vierville le 7 juin, montrant les débris éclatés du mur antichar

(détails)


Le photo ci-dessous montre un Tank Destroyer franchissant le mur antichar de Vierville devant les fantassins de la 2èmeDI qui viennent de débarquer (8 ou 9 juin)

(Extraits du récit du sergent Dube du 121ème Bataillon du Génie)

"J'étais le 9ème chef d'escouade du 3ème peloton, Cie C/121ème Bataillon du Génie. Nous étions à bord d'un LST. C'est le type de bateau qui a de grandes portes à l'avant. Un peu avant l'aurore, (vers 05h00) un autre bateau, de type LCT s'est rangé le long de notre bord. Nous sommes descendu à son bord grâce à des filets de corde accrochés à notre bastingage.
(Dube a fait la traversée dans un LST mieux équipé pour loger des soldats, mais le matériel lourd avait été chargé dans le LCT en Angleterre)
Comme le jour se levait, (vers 06h00) nous avons vu le clocher de Vierville et la route qui montait de la plage au village. 

{ Notre mission consistait à débarquer (sur Dog Green, juste devant Vierville), monter à Vierville par cette route, tourner à droite en haut, et 400m plus loin enlever les mines de deux champs à gauche de cette route et derrière une ferme pour permettre à nos véhicules de se garer et à notre peloton de bivouaquer pour la nuit.}

Un peu plus tard nous avons vu des hommes dans l'eau. Nous avons sauvé tous ceux que nous avons pu. Un certain nombre d'entre eux étaient dans un piètre état, au bord de l'épuisement. Nous faisions partie de la 6ème vague de débarquement (qui devait aborder Dog Green à 07h30). Nous avons tout d'abord tourné en rond, puis nous nous sommes dirigés vers la côte. 

Notre route nous conduisait à 150m environ de l'arrivée de la route descendant de Vierville; nous étions bord à bord d'un LCT lorsque nous avons entendu crier d'un autre LCT: "En arrière, en arrière, nous avons heurté une mine". Le pilote de notre LCT a mis immédiatement en marche arrière et le bateau s'est mis à tanguer violemment en reculant .
(il est probable que les officiers dirigeant le LCT avaient jugé qu'aborder sur la plage Dog Green dans l'état critique où elle était à cette heure était suicidaire. Le colonel Schneider, du 5ème Ranger avait fait de même 1 heure avant)
Je ne peux pas affirmer que si nous avions continué tout droit, nous aurions aussi heurté une mine, je ne le saurai jamais. Nous avons fait marche arrière pendant un temps qui nous a paru une éternité, puis nous sommes repartis en avant vers la gauche, nous éloignant de Vierville. Pendant tout ce temps des obus tirés vers nous tombaient sans dégâts pour nous, mais très près de nous (c'est à ce moment que les débarquements ont été suspendus par ordre du "Beachmaster" jusque vers 10h30)


Nous avons débarqué (sur Dog White, vers 11h00) enfin à environ 1500m de notre objectif qui était la route de la montée vers Vierville. Nous devions suivre cette route, comme je l'ai déjà dit, tourner vers la droite et trouver sur la gauche une grande maison avec un champ derrière, où nous devions passer la nuit. 

C'est à ce moment que s'est produit le premier événement au cours duquel furent exaucées les prières que j'avais prononcées les années précédentes. Je ne sais pas nager une seule brasse, même tout nu. Vous vous rendez bien compte quelle chance il pouvait me rester avec un uniforme trempé, un lourd équipement et une charge d'environ 25kg sur le dos si mon bateau comme beaucoup de navires ce matin là, avait laissé tomber sa rampe de débarquement dans l'eau profonde pour éviter de heurter une mine ou un obstacle.

(les navires qui talonnaient dans l'eau profonde heurtaient presque toujours un banc de sable, et la rampe s'abaissait dans le chenal suivant le banc de sable. Ici le LCT a abordé vers 11h00 à mer complètement haute, et il a dû passer au dessus des bancs et des obstacles pour aborder  directement sur le talus de galets. C'était une chance rare)

Et bien dans notre cas, nous avons touché si près de la plage  qu'aucun de nous n'a été mouillé plus loin que la semelle de ses chaussures. Nous étions bien loin (sur Dog White) de notre objectif où se déroulait des combats sérieux. Dès que nous avons quitté le bateau, mon Lieutenant (le lieutenant Pope) nous dit d'attendre là pendant qu'il tentait de reprendre contact avec le commandant de la compagnie  (plus tard le Lieutenant m'a dit que le Capitaine avait été tué d'une balle dans la tête en débarquant). 

Nous avons déplacé des galets pour creuser des abris. Beaucoup, dont j'étais, se sont allongés sur le dos, notre tête sur le casque, en regardant vers la mer. Aucun de nous n'avait été blessé jusque là. 

Un simple soldat du nom de Boscelli, dans mon bateau, était chargé de 2 torpilles Bangalore (longues perches explosives) pour détruire les réseaux de barbelés que nous devions trouver sur la côte, près du mur antichar qui barrait la route de Vierville. Quand le bateau a touché les galets, il a jeté les 2 torpilles à l'eau, avant que quelqu'un ne l'en empêche. Il pensait ne plus en avoir besoin, car tout çà ne ressemblait pas encore à une vraie guerre. Pendant que j'étais allongé, quelques corps sont passés flottant à mes pieds. Je me suis alors rendu compte que des gens mouraient un peu plus loin. Pour nous la guerre consistait en un duel d'artillerie dont les coups s'approchaient dangereusement de nous.

Un peu plus tard alors que nous attendions le retour du Lieutenant Pope, le Général Cota est passé (probablement vers 14h00, revenant de Vierville par la descente normale) tout près sur la plage (la mer avait commencé à descendre) et nous dit "Allons-y les gars, partez, les Américains qui restent ici seront bientôt morts, en avant la 29ème! ".  Nous nous sommes tous levés et nous sommes dirigés vers la montée de Vierville. 
La marée était haute à ce moment là (la mer descendait, il n'y avait encore que peu de sable) et il était dangereux de marcher sur le bord de la plage. En s'approchant (de la descente de Vierville) les tirs augmentaient.  L'artillerie, les mortiers, les mitrailleuses allemandes placées en haut des falaises nous tiraient dessus, sans compter les canons de 88 mm placés dans les bunkers qui prenaient la plage en enfilade. (il est quand même probable que le feu allemand était réduit à ce moment, comparé au début de matinée, les WN de la descente de Vierville étaient neutralisés, mais l'artillerie de campagne allemande tirait encore de temps en temps, surtout sur D1).
Il était très difficile de marcher à cause des nombreux cadavres et des véhicules détruits.

Je me souviens être passé devant une maison dont beaucoup se souviennent. On la voit en photo dans le livre relatant l'histoire de la 29ème Div. d'infanterie US. J'ai pensé en revenant à Vierville cette année (1994) qu'il devait s'agir d'un casino. (??? probablement la villa Hardelay)
Un peu plus tard nous avons pu reprendre notre progression vers Vierville, sur la route de la côte, et vers le mur antichar. C'est là que j'ai vu pour la première fois un des spectacles les plus horribles de la guerre: un officier criant  "Un docteur, un docteur!"  Il était debout mais chancelant, une partie de son visage emporté. J'étais déchiré, soit m'arrêter pour lui porter secours, soit aller à la recherche d'un docteur pour le soigner. Je l'ai aidé à s'asseoir afin qu'il devienne une cible moins visible et j'ai appelé mes hommes pour qu'ils cherchent l'infirmier attaché à notre unité.

Il était environ 16h30 ou 17h00 (probablement beaucoup plus tôt vers 14h00 ou 14h30) lorsque nous sommes arrivés au mur antichar. Le chef de la 2ème section de la Cie B/121  attendait debout près du mur que des sapeurs arrivent et le fasse sauter. Rien ne pouvait remonter de la plage à cause de ce mur, tous les types de véhicules, chars, half-tracks, camions étaient bloqués sur la plage comme des canards immobiles. 

Quand on m'a vu avec ma section intacte et une perche Bangalore, l'officier commandant la CieB/121, dont je ne puis me souvenir le nom, me dit: "Sergent, faites une reconnaissance au delà du mur et préparez-vous à le faire sauter."  J'ai demandé des volontaires; Franck Wood (toujours vivant, et qui habite Arlington, VA), un jeune homme du nom de Gronden, qui fut tué plus tard sur la route de St-Lô, et un autre soldat, se sont présentés. 
Nous sommes partis vers le mur, en coupant des barbelés, en faisant attention aux mines et en évitant de tomber dans le fossé antichar. En approchant nous avons vu que c'était un double mur avec une chicane permettant de passer à pied de l'autre côté. Nous n'avons vu aucun soldat Allemand jusqu'au moment où traversant le mur nous avons regardé en haut de la falaise sur la gauche, nous avons apereçu des soldats Allemands courant dans des tranchées. Nous avons tiré sur eux et nous les avons manqué.

En revenant vers la plage le long du mur, nous avons commencé à préparer sa démolition bien que ce ne soit pas la mission qui m'avait été assignée en Angleterre. Cela l'est devenu seulement quand je me suis trouvé devant le mur. Nous nous sommes assuré que tous les Américains présents étaient hors d'atteinte de l'explosion, bien à l'abri.

Sur la plage, pas trop loin, il y avait 2 soldats du génie US, conducteurs de bulldozers:  Albert Valleco et Joseph Drags. Chaque bulldozer transportait chacun 10 caisses de TNT (500kg environ). Mon spécialiste des démolitions à la 9ème section était John Oleneck, de Scranton, Pensylvanie. J'ai perdu la trace de John lorsque j'ai été blessé en Allemagne et que j'ai quitté l'unité, je ne sais donc pas s'il est toujours vivant. Valleco et Drags vivent tous les deux en Nouvelle Angleterre, USA. Aussitôt après avoir dégagé un chemin vers le mur, Oleneck s'est demandé combien il faudrait de caisses pour faire tout sauter.
 

Les 2 murs étaient hauts (2m50) et épais (1m) et renforcés (béton armé). Il a décidé d'utiliser 10 caisses sur chaque mur, en faisant un grand U, comme ci-contre.
Il a cassé le couvercle d'une des caisses et installé un détonateur dans un pain de TNT au centre de la caisse. Il a déroulé le fil électrique jusqu'à la mer.

Après avoir mis tous les hommes à l'abri et vérifié que personne ne se trouvait plus dans le secteur, j'ai commandé à John d'appuyer sur la poignée de l'appareil de mise à feu. Je ne me souviens plus si c'est lui ou moi qui avons exécuté le geste après le signal "All clear!"

De toutes façons une boule de feu s'est élevée à au moins 60m en l'air. Il nous a semblé que des débris de béton et des pierres sont retombées pendant de longues minutes! Quand la fumée s'est éclaircie et que nous avons pu sortir de nos abris, nous avons vu que les deux murs avaient été percés et disloqués. Immédiatement les bulldozers se sont mis à remplir le fossé antichar (il était à 50m devant le mur, en travers de la route) et les tankdozers se sont mis à élargir le trou des murs pour permettre aux véhicules de la plage de passer. Il était environ 17h00. 

Je ne me souviens pas d'avoir vu le général Cota près du mur. C'est le commandant de la Cie B qui m'a donné l'ordre de faire sauter cet obstacle. C'était un major. Je sais que ce que je raconte est contraire à ce que l'on montre dans le film "Le jour le plus long". Je ne dis pas que le général Cota n'étais pas dans les parages, je dis que je ne l'ai pas revu après qu'il soit passé près de nous sur la plage en nous disant de partir d'où nous étions." 
(le général avait traversé le mur en descendant de Vierville vers 13h00, avait continué sur la route, rencontré le sergent Dube sur Dog White vers 13h30, avant de continuer sur St-Laurent et le Ruquet. Partout sur son passage, il stimulait et encourageait les troupes rencontrées, tout en leur faisant prendre des initiatives)


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