Nous avons déplacé des galets
pour creuser des abris. Beaucoup, dont j'étais, se sont
allongés sur le dos, notre tête sur le casque,
en regardant vers la mer. Aucun de nous n'avait été
blessé jusque là.
Un simple soldat du nom de Boscelli, dans mon bateau, était
chargé de 2 torpilles Bangalore (longues perches explosives)
pour détruire les réseaux de barbelés que
nous devions trouver sur la côte, près du mur antichar
qui barrait la route de Vierville. Quand le bateau a touché
les galets, il a jeté les 2 torpilles à l'eau,
avant que quelqu'un ne l'en empêche. Il pensait ne plus
en avoir besoin, car tout çà ne ressemblait pas
encore à une vraie guerre. Pendant que j'étais
allongé, quelques corps sont passés flottant à
mes pieds. Je me suis alors rendu compte que des gens mouraient
un peu plus loin. Pour nous la guerre consistait en un duel
d'artillerie dont les coups s'approchaient dangereusement de
nous.
Un peu plus tard alors que nous attendions
le retour du Lieutenant Pope, le Général Cota
est passé (probablement vers 14h00, revenant
de Vierville par la descente normale) tout près
sur la plage (la mer avait commencé à
descendre) et nous dit "Allons-y les gars, partez,
les Américains qui restent ici seront bientôt morts,
en avant la 29ème! ". Nous nous sommes tous
levés et nous sommes dirigés vers la montée
de Vierville.
La marée était haute à ce moment
là (la mer descendait, il n'y avait encore que
peu de sable) et il était dangereux de marcher
sur le bord de la plage. En s'approchant (de la descente
de Vierville) les tirs augmentaient. L'artillerie,
les mortiers, les mitrailleuses allemandes placées en
haut des falaises nous tiraient dessus, sans compter les canons
de 88 mm placés dans les bunkers qui prenaient la plage
en enfilade. (il est quand même probable que le
feu allemand était réduit à ce moment,
comparé au début de matinée, les WN de
la descente de Vierville étaient neutralisés,
mais l'artillerie de campagne allemande tirait encore de temps
en temps, surtout sur D1).
Il était très difficile de marcher à
cause des nombreux cadavres et des véhicules détruits.
Je me souviens être passé
devant une maison dont beaucoup se souviennent. On la voit en
photo dans le livre relatant l'histoire de la 29ème Div.
d'infanterie US. J'ai pensé en revenant à Vierville
cette année (1994) qu'il devait s'agir
d'un casino. (??? probablement la villa Hardelay)
Un peu plus tard nous avons pu reprendre notre progression
vers Vierville, sur la route de la côte, et vers le mur
antichar. C'est là que j'ai vu pour la première
fois un des spectacles les plus horribles de la guerre: un officier
criant "Un docteur, un docteur!" Il était
debout mais chancelant, une partie de son visage emporté.
J'étais déchiré, soit m'arrêter pour
lui porter secours, soit aller à la recherche d'un docteur
pour le soigner. Je l'ai aidé à s'asseoir afin
qu'il devienne une cible moins visible et j'ai appelé
mes hommes pour qu'ils cherchent l'infirmier attaché
à notre unité.
Il était environ 16h30 ou 17h00 (probablement
beaucoup plus tôt vers 14h00 ou 14h30) lorsque
nous sommes arrivés au mur antichar. Le chef de la 2ème
section de la Cie B/121 attendait debout près du
mur que des sapeurs arrivent et le fasse sauter. Rien ne pouvait
remonter de la plage à cause de ce mur, tous les types
de véhicules, chars, half-tracks, camions étaient
bloqués sur la plage comme des canards immobiles.
Quand on m'a vu avec ma section intacte et une perche
Bangalore, l'officier commandant la CieB/121, dont je ne puis
me souvenir le nom, me dit: "Sergent, faites une reconnaissance
au delà du mur et préparez-vous à le faire
sauter." J'ai demandé des volontaires; Franck
Wood (toujours vivant, et qui habite Arlington, VA), un jeune
homme du nom de Gronden, qui fut tué plus tard sur la
route de St-Lô, et un autre soldat, se sont présentés.
Nous sommes partis vers le mur, en coupant des barbelés,
en faisant attention aux mines et en évitant de tomber
dans le fossé antichar. En approchant nous avons vu que
c'était un double mur avec une chicane permettant de
passer à pied de l'autre côté. Nous n'avons
vu aucun soldat Allemand jusqu'au moment où traversant
le mur nous avons regardé en haut de la falaise sur la
gauche, nous avons apereçu des soldats Allemands courant
dans des tranchées. Nous avons tiré sur eux et
nous les avons manqué.
En revenant vers la plage le long du mur, nous avons commencé
à préparer sa démolition bien que ce ne
soit pas la mission qui m'avait été assignée
en Angleterre. Cela l'est devenu seulement quand je me suis
trouvé devant le mur. Nous nous sommes assuré
que tous les Américains présents étaient
hors d'atteinte de l'explosion, bien à l'abri.
Sur la plage, pas trop loin, il y avait 2 soldats du génie
US, conducteurs de bulldozers: Albert Valleco et Joseph
Drags. Chaque bulldozer transportait chacun 10 caisses de TNT
(500kg environ). Mon spécialiste des démolitions
à la 9ème section était John Oleneck, de
Scranton, Pensylvanie. J'ai perdu la trace de John lorsque j'ai
été blessé en Allemagne et que j'ai quitté
l'unité, je ne sais donc pas s'il est toujours vivant.
Valleco et Drags vivent tous les deux en Nouvelle Angleterre,
USA. Aussitôt après avoir dégagé
un chemin vers le mur, Oleneck s'est demandé combien
il faudrait de caisses pour faire tout sauter.
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Les 2 murs étaient hauts
(2m50) et épais (1m) et renforcés
(béton armé). Il a décidé
d'utiliser 10 caisses sur chaque mur, en faisant un grand
U, comme ci-contre.
Il a cassé le couvercle d'une des caisses
et installé un détonateur dans un pain de
TNT au centre de la caisse. Il a déroulé
le fil électrique jusqu'à la mer.
Après avoir
mis tous les hommes à l'abri et vérifié
que personne ne se trouvait plus dans le secteur, j'ai
commandé à John d'appuyer sur la poignée
de l'appareil de mise à feu. Je ne me souviens
plus si c'est lui ou moi qui avons exécuté
le geste après le signal "All clear!"
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De toutes façons une boule de feu
s'est élevée à au moins 60m en l'air. Il
nous a semblé que des débris de béton et
des pierres sont retombées pendant de longues minutes!
Quand la fumée s'est éclaircie et que nous avons
pu sortir de nos abris, nous avons vu que les deux murs avaient
été percés et disloqués. Immédiatement
les bulldozers se sont mis à remplir le fossé
antichar (il était à 50m devant le mur,
en travers de la route) et les tankdozers se sont mis
à élargir le trou des murs pour permettre aux
véhicules de la plage de passer. Il était environ
17h00.
Je ne me souviens pas d'avoir vu le général
Cota près du mur. C'est le commandant de la Cie B qui
m'a donné l'ordre de faire sauter cet obstacle. C'était
un major. Je sais que ce que je raconte est contraire à
ce que l'on montre dans le film "Le jour le plus long". Je ne
dis pas que le général Cota n'étais pas
dans les parages, je dis que je ne l'ai pas revu après
qu'il soit passé près de nous sur la plage en
nous disant de partir d'où nous étions."
(le général avait traversé le mur en descendant
de Vierville vers 13h00, avait continué sur la route,
rencontré le sergent Dube sur Dog White vers 13h30, avant
de continuer sur St-Laurent et le Ruquet. Partout sur son passage,
il stimulait et encourageait les troupes rencontrées,
tout en leur faisant prendre des initiatives)
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